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La polémique du sublime dans l’histoire de la littérature semble active dans la période qui va de 1674 à 1827. 1674 est l’année où Boileau publie sa traduction du Traité du sublime du pseudo-Longin laquelle connaît beaucoup de succès, et 1827 est l’année où paraît la Préface de Cromwell qui n’a pas moins de retentissement. Cette polémique montre que le sublime est traité tantôt dans des ouvrages du courant orthodoxe, tantôt dans ceux de l’opinion libérale. Elle traverse pendant cette période non seulement les plans littéraire et artistique mais aussi les plans métaphysique, psychologique et onthologique. La Préface de Cromwell de Victor Hugo, emblème de la bannière romantique, possède pour les jeunes écrivains du XIXe siècle une valeur importante qui permet de prendre conscience de la rupture décisive avec la littérature classique. Mais l’alliance du sublime et du grotesque ou plutôt la puissance du grotesque sur laquelle insiste Hugo peut-elle se présenter comme un bien-fondé de la nouvelle poétique pour bouleverser le principe du beau classique basé sur un rapport équilibré ? Certes, la méthode de Hugo pour caractériser la poésie moderne consiste d’abord à fixer le commencement des temps modernes qu’il qualifie de dramatiques sur la naissance du christianisme, et ensuite à ébranler l’esthétique classique appuyée sur les règles et les codes. L’argumentation hugolienne montre que le sublime parvient, en se sclérosant, à l’impasse entre les mains d’un poète comme Delille ou d’un critique comme La Harpe, sans nier bien entendu les génies classiques tels que Corneille, Racine ou Molière. Pour lutter contre l’école du « bon goût », Hugo souligne le mélange du sublime et du grotesque dans l’oeuvre dramatique. Cet argument aboutit à réaffirmer la puissance du génie littéraire. Hugo bat le dogmatisme classique avec l’existence du génie comme arme. Dans cette analyse hugolienne, cependant, le terme sublime est-il employé dans le même sens que chez les écrivains classiques ? Le poète mentionne en effet la présence de Longin au cours de son analyse historique. Mais en inventant le substantif « grotesque » comme notion antagoniste du sublime, il semble minimiser le pouvoir du sublime. Le discours évolue comme si Hugo ne semblait pas connaître la polémique du sublime depuis le Traité de Longin. D’ailleurs, le poète, tandis qu’il consacre toute son érudition au développement du grotesque, n’explique pas beaucoup sur le sublime. Pour ce dernier il affirme d’abord que « la beauté universelle que l’Antiquité répandait solennellement sur tout n’était pas sans monotonie ; la même impression, toujours répétée, peut fatiguer à la longue, » constate ensuite que « le sublime représentera l’âme telle qu’elle est, épurée par la morale chrétienne », et cite, enfin, des exemples d’héroïnes sublimes : Juliette, Desdémona et Ophélia, toutes étant des personnages shakespeariens. Pourquoi nous fournit-t-il des interprétations si fragmentaires(références à l’Antiquité, au christianisme et aux oeuvres de Shakespeare)et si négatives(monotone et fatigant), et des modèles si peu nombreux ? Par ailleurs, Hugo oppose le sublime au grotesque, mais déplace parfois son argumentation sur le beau et le laid. « Le beau n’a qu’un type ; le laid en a mille. »« Il serait surabondant de faire ressortir davantage cette influence du grotesque dans la troisième civilisation. Tout démontre, à l’époque dite romantique, son alliance intime et créatrice avec le beau. » Le sublime et le beau sont-ils synomymes chez Hugo, alors que dans l’histoire poétique on discute de préférence sur leur distinction ? De plus, le sublime et le grotesque sont les deux idées antithétiques au début de la Préface, mais sont ambivalents vers la fin : « Où voit-on médaille qui n’ait son revers ? talent qui n’apporte son ombre avec sa lumière, sa fumée avec sa flamme ? » Pourquoi y a-t-il ce glissement presque imperceptible dans le discours hugolien ? Pour mieux voir ces problèmes et y répondre convenablement, il faudrait les approcher du point de vue du grotesque ainsi que du sublime. Dans cet article cependant nous nous contentons de focaliser notre étude non sur le grotesque mais sur le sublime. Nous tenterons d’y montrer les oppositions produites dans le débat du sublime sur quatre plans différents : artistique, philosophique, psychologique et onthologique. Nous verrons que Hugo ramène systématiquement ces contradictions du sublime à l’idée du génie et comment il les refond dans son principe esthétique du sublime et du grotesque. |
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